Ourawen le groupe rennais vient de sortir son 3e album à l’occasion de Yaouank. Matthieu, le guitariste, nous en parle.
Peux-tu nous présenter le groupe Ourawen?
L’aventure a démarré en 2008, avec derrière ce nom faussement breton (c’est du touareg) une volonté claire dès le début d’aller piocher dans tout un tas d’influences, pas pour faire exotique mais pour brasser tout ça de manière ouverte. On a préféré tourner le dos aux autoroutes celtiques ou au « jazz trad de bon goût » qui faisait école, et aller chercher des approches rythmiques, des couleurs, des intentions dans des musiques rêches, modales, sans sophistication ni maniérisme et sans se mettre d’oeillères. Ce n’était pas délibéré, mais ça s’est affirmé de plus en plus nettement comme une invitation au voyage. Après la sortie du 2e disque, « la traversée » en 2014, Stéphane (notre flûtiste) a décidé d’arrêter ; nous, on a fait le pari de rester à trois (guitare percussions et violon) et de faire évoluer la place de chacun, tout en gardant ce qui fait notre force et que d’autres groupes par ailleurs très bons n’auront jamais : une identité bien trempée. On a aussi de plus en plus assumé un ancrage dans les répertoires de Haute Bretagne, l’envie de faire vivre ce beau potentiel sous représenté en fest-noz, en travaillant cette matière là à notre manière. Ça donne un power trio très soudé, dans une énergie acoustique très brute mais pas sans finesse pour autant, et surtout trois gars qui prennent beaucoup de plaisir à jouer ensemble et à partager tout ça. Aujourd’hui plus que jamais.
« Le goût des orties » c’est le nom de cet album ; qu’évoque ce titre?
D’abord, l’image nous plaisait. Il y a cette idée de faire une place aux herbes sauvages dans nos vies, de tirer partie de ce qui pousse dans les fossés. Ce qui semble improductif, dérisoire voire nuisible peut s’avérer utile ou salutaire. C’est vrai aussi pour la biodiversité humaine : les cultures minoritaires, les langues régionales, tout ce qui est sous-médiatisé, méprisé par la « Culture » officielle qui voit tout ça comme des vestiges pittoresques d’une époque révolue, sans rien y comprendre et donc sans voir ce que ça a à offrir ici et maintenant. En fest-noz, ce qui me plaît aussi, c’est justement cette diversité des publics, ça brasse, on n’est pas tous pareils et c’est tant mieux. On a déjà bien assez d’endroits, dans nos vies, peuplés de gens qui nous ressemblent trop. Mais pour connaître le goût des orties, il faut goûter. Pour savoir quel pied on peut prendre à danser, partager des moments de convivialité, de musique, de fête dans un bal trad, il faut y aller et pouvoir l’éprouver directement. Il y a du boulot pour valoriser ça…
12 titres dont 1 suite plinn, pourquoi cette excursion en Trégor?
Parce que tu ne te fais pas programmer en ne jouant que des avant-deux ! Plus sérieusement, on a toujours joué des morceaux de Basse Bretagne. C’est vrai que, comme on a de plus en plus un répertoire marqué Haute-Bretagne (et on le vit bien!), c’est le reste qui finit par apparaître comme une bizarrerie, mais on n’a aucun dogmatisme là-dessus. On est danseurs tous les trois, travailler un groove pour prendre son pied à danser, ça vaut pour un plinn comme pour une ridée. On joue ce qu’on aime, tout simplement.
« Bobias de la lune », c’est le titre qui ouvre l’album, vous pouvez nous en parler?
C’est une ridée, un morceau qui est dans notre répertoire à trois depuis un moment mais qui a beaucoup évolué, mine de rien. On a travaillé pour ce disque avec l’accompagnement artistique de Dylan James, ça a permis de sortir de nos habitudes à trois en faisant intervenir une voix autre, impliquée mais avec du recul, et ça nous a fait un bien fou. Ce titre en est clairement l’exemple, il y a quelque chose qui s’est débloqué et qui a permis au reste d’être évident, fluide. C’est un morceau qu’on a beaucoup de plaisir à jouer et c’est peut-être aussi pour ça qu’il ouvre l’album.
Vous avez sorti cet album lors du fest-noz Yaouank, vous y jouiez pour la première fois, peux-tu nous parler de cette expérience?
Le groupe existe depuis dix ans. On n’a jamais cherché à se placer même si, soyons honnêtes, la perspective de jouer à Yaouank au parc expo est quelque chose de très stimulant. On a tracé notre route sans trop penser à ça. Y être finalement programmés, en plus d’être une forme de reconnaissance, c’était l’occasion surtout de prendre un pied monstre. On n’a pas hésité longtemps avant d’assumer un set court avec quasiment que de la danse en quadrette. Et c’était vraiment chouette de voir tout le hall 9 danser et tripper grave sur tout ça. On revient quand tu veux, Glenn !
Vous clôturez le disque par Skellig night curragh, un air irlandais?
Non, c’est une composition (assez ancienne d’ailleurs), un instrumental qui laisse beaucoup d’espace pour des paysages mentaux, une invitation au voyage. La référence aux îles Skellig, ces éperons rocheux de la côte Ouest de l’Irlande où ont vécu des moines au Moyen Âge, à une traversée nocturne sur ces embarcations traditionnelles de pêche que sont les curraghs, c’est à chacun de se faire ce voyage dans sa tête avec la musique. Une bonne manière de terminer l’album, paisible et ouverte.
Quels sont les projets d’Ourawen pour 2019?
Rien d’ambitieux et de spectaculaire. On n’a pas vraiment fait de fête à nous pour nos dix ans, même si toute l’année a été émaillée de chouettes dates et s’est terminée idéalement avec la sortie du disque et la date à Yaouank. Mais on va fêter nos 11 ans, d’une façon qui nous ressemble ! Pour le reste, on ne demande qu’à jouer, en fest-noz, en bal trad, et dans des endroits pas enfermés dans l’entre soi. Aller jouer dans des bals sauvages, dans des bars ou des festivals pas du tout orientés musique trad, aller chercher les gens, leur donner l’occasion de découvrir tout ça, ça nous va bien.