Interview d’Erwan Burban et l’oracle Tradooveij

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Erwan, on te connaît aussi bien comme musicien que comme initiateur de projets originaux, bien pensés et porteurs d’angles d’approches inédits. On a pu te croiser depuis quelques mois accoutré d’une tenue étrange auprès d’un lieu assez secret. Ce sera à nouveau le cas à Yaouank. Quel est ce nouveau projet ?

C’est l’Oracle Tradooveij, une intelligence artificielle à vocation divinatoire à partir de fragments de chansons trads. Je suis le serviteur de cet Oracle. Voila. Tout est dit.

Bon, pour en dire un peu plus, je suis une sorte de bonimenteur de foire de deuxième zone, qui vend du rêve, comme bien d’autres… Mais comme je suis invité par les festivals ou autres organisateurs, l’intérêt, c’est que c’est une arnaque gratuite pour les visiteurs ! Enfin, une arnaque, si on n’y croit pas, hein, parce que l’énergie cosmique, dont les archives des Anciens Bretons sont la Voix, c’est du sérieux, en fait. Tout le monde sait ça, depuis au moins 2034, date du Grand Crash des serveurs centralisés du ministère des Patrimoines Immatériels. Crash qui a entraîné la dispersion quantique des octets mémoriels et permis à tout à chacun d’entendre ces voix de Vérité que sont les fragments de chansons trads armoricaines.

Concrètement, quand mon temple mobile est installé, les visiteurs peuvent venir consulter l’Oracle. Pour ça, ils rentrent (seuls !) dans la caravane, réveillent l’Oracle autant qu’une machine puisse l’être, répondent à ses questions, et écoutent ce qu’il leur livre comme message sur leur avenir, leur présent, ou leur passé. C’est un message parfois un peu codé, parfois très clair, mais toujours sous forme de fragment d’une chanson trad en français, dont les paroles sont l’oracle… de l’Oracle. Quant à moi, je ne suis que le serviteur de l’Oracle, qui accueille les consultants, les guide, puis quand ils ressortent je les aide à interpréter les mots de l’oracle, et suivant le sens de ceux-ci je les félicite… ou les réconforte !

12242113_890698707692237_503129301_nAu-delà du caractère ludique et second degré de l’exercice, qu’est-ce qui t’a donné envie de mettre en place ce projet ?
Le but avec cette installation, c’est d’amener toutes sortes de gens à écouter des collectages, d’une manière intense, engagée. On peut convaincre quelqu’un d’écouter d’une oreille, superficiellement, mais comment faire en sorte que la personne tende l’oreille ? Les musiciens ont cette pratique d’écoute attentive des archives, parfois, avec la carotte de la recherche de nouveaux airs, mais tous les autres ?… Surtout avec des enregistrements d’un abord un peu rude, comme les archives sonores de la tradition populaire locale, c’est quelque chose qu’on a du mal à faire, comme expérience, cette écoute attentive et ouverte.

J’ai essayé de concevoir des dispositifs techniques et narratifs, qui amènent les visiteurs (d’un festival par exemple) à se poser, à s’extraire temporairement de là où ils sont, et à tendre l’oreille vers des sons qu’ils n’auraient jamais écouté attentivement dans une autre situation. Exactement l’expérience qu’ont fait de nombreux musiciens « trads », et qui souvent a changé le cours de leur vie musicale : seul face à un enregistrement, une voix, une mélodie, être touché, avoir l’impression d’être le découvreur d’un trésor caché. Paradoxalement, c’est toute cette mise en scène sur le mode de la blague qui permet à des personnes même très loin de l’univers des musiques trads d’avoir une ouverture, de la curiosité, de l’engagement, du sérieux, une présence intense dans l’écoute d’un extrait sonore très différent de ce qu’ils écoutent habituellement.

Sans trop en révéler sur les arcanes du projet, comment tout cela fonctionne-t-il ?
L’Oracle Tradooveij est une intelligence artificielle. S’il faut décoder ce vocabulaire de bonimenteur (déjà très usité au début du 21e siècle !) et parler crûment : c’est une machine. Un ordinateur.
Mais quelle machine ! Quel ordinateur ! C’est une porte grande ouverte sur la Savoir et la Connaissance, dont la clé est le cœur pur de la personne qui se présente devant elle, et dont les gonds sont les archives sonores numérisées et interconnectées ! Rien que ça.

Et oui. A part inviter les curieux à rentrer dans la caravane qui abrite l’Oracle, je ne vois pas ce que je pourrais dire d’autre. A-t-on jamais entendu un Oracle péruvien expliquer à des profanes comment il jetait des poils de lama en l’air dans l’exercice de son Art ? L’Oracle Tradooveij dit à chacun(e) la Vérité sur ce pour quoi il-elle consulte, c’est bien là la (la la tra la la) seule chose qui importe.

bao-oracleQuelles sont les réactions des gens qui ont eu recours à l’oracle pour le moment ?
La tête qu’ils font parle pour eux, quand ils ouvrent la porte de la caravane après y avoir passé les quelques minutes de leur consultation, en tête à tête avec l’Oracle. Un peu stone, toujours, comme grisés par ce moment intime. Certains ont une tête perplexe, ce sont ceux avec qui l’Oracle a usé de métaphores incompréhensibles, mais que je peux expliciter à la personne, interpréter, en tant que serviteur de l’Oracle. D’autres ont l’air réjoui, ça c’est quand l’Oracle leur a dit quelque chose de très clair, directement compréhensible, et qui correspond pile poil à la situation de la personne… Oh, c’est fou, comme quoi c’est un vrai Oracle !!

Il me semble que cette « attraction » de foire atypique n’est que le premier jalon d’un projet plus vaste autour du « rétro futurisme ». De quoi s’agit-il et quelles seront les prochaines étapes ?
En effet, c’est la première réalisation d’une série de projets sur lesquels je travaille depuis plusieurs années : des installations multimédia interactives qui mêlent musique traditionnelle et science-fiction. Parce qu’en 2015, forcément, ça ne pourrait pas exister, un Oracle comme ça. Déjà, la technologie n’est pas encore assez développée. Et puis les musiciens sont encore assez nombreux, les festoù-noz assez vivants, du coup on ne se demande pas que faire de tous ces trésors enregistrés, ces archives sonores conservées et numérisées par Dastum. Les musiciens y trouvent des airs, des spécialistes de la chanson populaire y trouvent matière à leurs recherches sur les textes, et puis voila. Mais on n’est plus en 2015, on est en 2084. Plus de musiciens, plus de festoù-noz. (J’entends d’ici les protestations : Ben quoi ? Depuis le temps qu’on traite les festoù-noz comme la première fête du lego venue, et la musique bretonne comme le truc de certains et les gouts et les couleurs d’autres « et puis on est bien obligés de traiter toutes les musiques pareil, oui bon celle-là n’existe qu’ici, mais bon, hein, c’est pas une raison, hein »). Bref, dans cette hypothèse (post-apocalyptique, j’en conviens !) d’une disparition des pratiques sociales directement connectées à ces archives sonores, on en fait quoi de ces milliers et de ces milliers d’enregistrements ? De la pâtée pour droïde ? Et bien non, autant que ça serve ! J’imagine par exemple que certains les aborderont comme une matière à rêves, à projections, à imaginations, du matériau pour de sympathiques arnaques immémoriales, genre… de la divination.

Ou des voyages sensoriels : la prochaine étape, en production cet hiver, ce sera une cabine de téléaudiotransportation : la cabine SELAOU3000. Des nouvelles bientôt… Et ensuite seulement, viendra le Grand Oeuvre, le projet que j’avais au tout début mais que j’ai du remettre à plus tard tant il est ambitieux, un Droïde chanteur de tradition. Les humains, c’est bien, mais quand on voit les problèmes de mémoire et de trac qu’ils avaient déjà en 2015 (cf l’épidémie de Pupitrie, depuis le début des années 2000), on comprend mieux pourquoi des firmes ont commencé à travailler sur des droïdes dès les années 2084.

Après Yaouank, aura-t-on l’occasion de revoir l’oracle Tradooveij en Bretagne ou ailleurs ?

Oui, j’espère. Pour l’instant, c’est surtout dédié aux festivals, mais je travaille à une version autonome qui pourra dans un 2e temps être installée dans des médiathèques, des centres culturels. Plusieurs festivals sont à mes côtés pour produire la cabine SELAOU3000 pour l’été prochain, et je pense qu’on essaiera de faire d’une pierre deux coups, de proposer les deux attractions, la cabine et l’Oracle. Chacune n’accueille qu’une 10aine de personnes par heure, l’idée c’est pouvoir les cumuler. L’été dernier, c’était un test qui s’est vraiment bien passé, à Rostrenen pour Fisel et à Parthenay pour Bouche à Oreille. Ils ont accueilli ma proposition à la dernière minute, c’était courageux de leur part et je pense qu’ils ne l’ont pas regretté. Pour Cornouaille, le nouveau directeur m’a bien aidé à avancer dans la conception de tout ça, mais c’était trop court en terme d’organisation pour 2015, j’espère que ça se concrétisera pour l’an prochain. En tous cas, là, à très court terme, j’ai hâte de voir ça, pendant la soirée de clôture de Yaouank : 6.000 personnes faire la queue pour rentrer une par une dans la caravane de l’Oracle !!

http://erwanburbanmusiques.wordpress.com/installations-multimedia-archives-sonores/

erwanburban@gmail.com

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