La Corée aime le fest-noz !!

bandeau

Fêtes de nuit au pays du matin calme

Fin septembre dernier, le fest-noz était mis à l’honneur au Centre national du patrimoine culturel immatériel de Jeonju en Corée du Sud. L’occasion pour la délégation bretonne invitée d’initier le public local à la gavotte et à la ridée, mais aussi de découvrir quelques aspects de l’action publique coréenne en matière de valorisation du PCI.

Une série de festoù-noz en Corée : une drôle d’idée qui n’est autre que la conséquence indirecte de l’inscription du fest-noz sur la liste représentative du Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO. La Corée du Sud est le pays qui a inscrit le plus grand nombre d’éléments sur cette liste et elle s’est dotée, ces dernières années, d’un Centre national du patrimoine culturel immatériel (NIHC : National Intangible Heritage Center), ample complexe culturel basé à Jeonju, une ville de 650 000 habitants à 350 km au sud de Séoul, célèbre là-bas, notamment pour ses traditions culinaires. À l’occasion du 130e anniversaire des relations diplomatiques de la Corée avec la France, le NIHC a ainsi choisi de présenter un élément français et d’accueillir une délégation bretonne en vue d’animer plusieurs festoù-noz à Jeonju fin septembre.
Cette délégation bretonne était formée du groupe Loened Fall, du couple de chanteurs Charles Quimbert-Roland Brou et du couple de sonneurs Ronan Le Dissez-Stéphane Foll , une version light du plateau qui avait célébré l’inscription du fest-noz sous le chapiteau Zingaro à Paris en 2013.
La Corée, c’est loin… Il faut partir de Guingamp le lundi 24 septembre à 5 h 30 du matin pour arriver à Séoul le lendemain en fin d’après-midi. Pour les membres de Loened Fall, qui avaient célébré les 20 ans du groupe les jours précédents, la fatigue aura au moins permis de surmonter le décalage horaire et de trouver le sommeil dès la première nuit !
Le lendemain, avant de poursuivre notre trajet, on nous propose de visiter le palais royal de Séoul, épargné par la guerre civile qui a ravagé les deux tiers nord du pays de 1950 à 1953. Superbement restaurés, les lieux sont noirs de monde car l’entrée est gratuite (ce sont les Journées du patrimoine !), mais cette enclave de tradition dans un univers hyper-urbanisé accueille tout le temps de nombreux visiteurs, nous explique notre guide. Ensuite, il faut encore cinq heures de bus pour gagner Jeonju, où nous arrivons le mercredi soir.

Trois festoù-noz au programme

IMG_1685Le jeudi matin, les choses sérieuses commencent : le NIHC a fait venir une troupe de danseurs contemporains à qui nous avions adressé, quelques semaines plus tôt, diverses vidéos de danses bretonnes. Et c’est parti pour un petit tour de chant dans la danse, avec une vingtaine de danseurs détendus, qui n’avaient appris que des danses de Haute-Bretagne . Un complément de formation en dañs plin et gavotte leur est infligé sur-le-champ dans la bonne humeur. Les danseurs se mettent à pousser un genre de « hir, hir » local ; tout se passe comme à la maison !
Le vendredi a lieu le premier des trois festoù-noz prévus au NIHC. L’événement a été annoncé par des banderoles dans tout Hanok Village, le quartier traditionnel de Jeonju, lieu touristique très fréquenté IMG_1573; il est couplé au Festival international du film sur le patrimoine culturel immatériel, qui propose quatre jours de projections en libre accès. Le hall d’entrée donne directement sur le fest-noz auquel le public est invité à participer. La scène est installée en extérieur, mais c’était sans compter sur l’arrivée d’un typhon sur le Japon, avec pour conséquence des pluies de traîne jusqu’au nord de la Corée. La balance a lieu sous un ciel chargé ; deux barnums sont rapidement installés pour protéger la scène alors que la pluie s’annonce. Elle arrive vers 19 heures, en même temps que le public ; des imperméables à usage unique sont distribués, et, bientôt, public, musiciens, sonorisateurs, officiels, nous voilà tous transformés en schtroumpfs blancs !
Le couple de sonneurs lance le fest-noz, suscitant l’intérêt immédiat des smartphones. La présentatrice invite tout le monde à entrer dans la danse, et sans se faire davantage prier, le public se glisse dans le rond initialement formé de nos danseurs contemporains et des musiciens bretons disponibles. Comme celui-ci s’élargit, un autre rond se forme au centre… Chacun cherche à imiter ceux qui dansent, et ça marche ! Après un hanter-dro, on passe à plus difficile : une ridée. Ma voisine de droite est une jeune maman venue avec son fils, IMG_1866elle regarde mes pas, je lui dis de laisser aller ses bras et, au bout d’une minute, la danse fonctionne, à ma droite, à ma gauche, comme dans la plus grande partie de la ronde. Les danseurs contemporains poussent des cris, les gens sourient, ils restent pour la danse suivante. Quelques dizaines de personnes sont restées assises en spectatrices, mais 250 à 300 danseurs de tous âges dansent sous la pluie, dont une vingtaine de dames âgées venues en car, qui resteront danser jusqu’à la fin, vers 21 heures, et repartiront, hilares et trempées, certaines marchant pliées en deux ou s’aidant d’une canne… On nous a dit qu’il y a eu en Corée des danses en chaîne, mais impossible de demander à ces anciennes comment elles ont dansé dans leur jeune temps, dommage ! Le second fest-noz sera en salle, le dernier à nouveau en extérieur. À chaque fois, nous sommes épatés de l’aisance avec laquelle les Coréens de tous âges entrent dans la danse, sans appréhension aucune, avec l’envie manifeste de s’amuser, mais aussi d’apprendre. Nous le sommes encore plus de constater avec quelle facilité se fait cet apprentissage « sur le tas ».

Visite au NIHC

Juste avant le dernier fest-noz, nous prenons le temps de visiter le NIHC, qui nous a si bien IMG_1793accueillis. Imaginez, regroupés en un lieu unique sur 15 000 m2 de surface de plancher, Dastum, la Cinémathèque de Bretagne, le Quartz, une partie du Musée de Bretagne, des locaux de stage pour une vingtaine d’ateliers simultanés et une capacité d’hébergement, le tout fonctionnant avec 43 permanents, tous fonctionnaires, sans compter divers prestataires… C’est là l’outil dont s’est doté l’État coréen, au service d’une politique de conservation et de transmission basée sur une « labellisation » nationale de divers éléments – environ 80, dont 17 inscrits à l’UNESCO. Les praticiens de chacun de ces éléments dépendent d’une hiérarchie stricte, qui va de l’apprenant jusqu’au Maître, comme dans une chaire d’université où l’on trouve une pyramide qui va d’une base de thésards jusqu’à un sommet occupé par le professeur titulaire de la chaire !

IMG_1818Difficile de juger de l’impact réel d’un tel équipement:
lors de notre visite, un IMG_1809dimanche après-midi, les ateliers sont déserts. La partie muséographique est un superbe écrin, qui présente sobrement un choix limité d’objets (costumes, masques, poteries), avec de nombreux grands écrans, mais, chose surprenante, un recours limité aux dispositifs interactifs. Nous en sommes quasiment les seuls visiteurs cet après-midi-là. Par contre, la bibliothèque est bien fréquentée, comme les salles de spectacles, que ce soient celles où avait lieu le festival de films ou celle où nous avons assisté à un concert d’un IMG_1845genre, euh, comment dirais-je… variété/folk coréen ?
Un point qui nous frappe dans ce musée est la part importante réservée à ce que l’on pourrait appeler l’artisanat d’art. La délégation coréenne venue en France fin 2015 avait d’ailleurs eu plus de facilité à se confronter au point de dentelle d’Alençon (inscrit par la France également) qu’à appréhender le fest-noz…

Transition fulgurante

Notre dernier jour en Corée est celui du retour à Séoul. Pendant le trajet, le guide nous parle de la guerre civile, des forêts ravagées. Il nous montre des zones boisées reconstituées et où les arbres anciens ayant survécu se distinguent clairement. Si la guerre reprenait avec le Nord, le scénario le plus vraisemblable serait celui de la perte de Séoul en 24 heures, la capitale étant proche de la frontière et située sur la rive nord du fleuve Han qui constitue la première véritable barrière naturelle.
IMG_1858 IMG_1866Nous arrivons assez tôt pour pouvoir flâner dans un quartier « cool », fréquenté par une foule nombreuse, jeune, calme et décontractée ; l’impression générale est celle d’une bien moindre raideur que celle des Japonais, dont la présence a marqué fortement les modes de vie des Coréens pendant quarante ans d’occupation. Peut-être cette décontraction est-elle une façon de conjurer la hantise du risque permanent que représentent ces frères du nord avec qui ils n’ont plus aucun contact depuis plus d’un demi-siècle, pas même par téléphone ou courrier ?
En 1960, dévastée par la guerre, la Corée du Sud avait l’un des niveaux de vie les plus faibles du monde, derrière celui de nombreux pays africains. Le développement économique a été fulgurant, à l’image de celui de la Bretagne sur la même période, mais en partant de plus bas pour arriver bien plus loin. La guerre a détruit le pays qui, dans une large mesure, en a profité pour faire table rase de son passé et s’engager tête baissée dans la modernité. Exemple avec la réponse de notre guide – 30 ans IMG_1740– à qui nous demandons comment envoyer des cartes postales : « Euh… Je ne me souviens pas quand j’en ai écrit une pour la dernière fois ! » et de nous expliquer que le smartphone avait remplacé la lettre pour presque tous les Coréens. Tête baissée, mais en se souvenant de son passé, en le conservant et en le transmettant, mais en le concentrant dans des lieux précis, comme le village Hanok à Jeonju, comme le palais royal à Séoul…, comme le NIHC ? Mais si l’on prend appui sur ce que nous connaissons en Bretagne, difficile de croire qu’un changement si brutal ne s’accompagne pas du maintien, au sein de bien des familles, de nombreux éléments de la culture rurale de ce pays.
Pour combien de temps ? La concentration urbaine déjà considérable s’accélère encore avec la construction d’une foule de « petites » villes nouvelles : quelques dizaines de tours de vingt à trente étages jetées dans les bois, avec un énorme centre commercial à leur pied… Tel est le lieu de vie idéal des jeunes ménages coréens, et ceux qui y vivront pourront toujours se rendre au NIHC, au moins pour assister à un spectacle, peut-être suivre un atelier de poterie ou de confection de vêtements IMG_1742anciens. Beaucoup de visiteurs du village Hanok s’y promènent en costume traditionnel de location, manière d’affirmer leur identité et leurs racines qui semble montrer la rémanence du fond culturel rural chez nombre de Coréens. En Bretagne, le costume est mis sous cloche de verre, mais heureusement pas la danse ni la musique, pour lesquels le fest-noz constitue un conservatoire vivant, qui plus est géré presque toujours par des bénévoles, ce qui fait du fest-noz un modèle d’exercice des droits culturels. Le rôle du bénévolat est même bien plus large chez nous, puisqu’il s’étend aux actions de collecte, de conservation et de transmission, la puissance publique intervenant surtout par le biais de subventions. Nous avons vu en Corée un modèle totalement différent – modèle qui n’est peut-être pas le seul dans ce pays – où c’est la puissance publique qui prend en charge la conservation et la transmission d’éléments choisis de la culture populaire, après en avoir elle-même décidé et réalisé une collecte méthodique à partir de 1960.

Texte et photos : Ronan Guéblez

Share on FacebookTweet about this on TwitterEmail this to someoneShare on TumblrShare on Google+Pin on Pinterest
 

Laissez une réponse

Vous pouvez rédiger un commentaire ou répondre à quelqu'un.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises HTML et les attributs :

<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

-->