Portrait du veuzou François Robin

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Sonneur de veuze passionné et inventif, explorateur de la matière sonore, François Robin s’est forgé une place bien à lui sur la scène des musiques traditionnelles actuelles. Il revient pour nous sur son itinéraire, sur ce qui l’anime et le construit.

F Robin - solo nbOn peut peut-être commencer par te demander d’où tu viens. A savoir, d’où tu es originaire et comment tu en es venu, d’une part à la pratique d’un instrument, d’autre part à la musique traditionnelle?
Je viens de La Garnache, en Vendée. Une commune associée au renouveau de la veuze, parce que c’est là qu’habite Thierry Bertrand, et qu’est implantée la plus importante et la plus ancienne école de Veuze. J’ai commencé très jeune, car mon père a eu la bonne idée d’en ramener une à la maison quand j’avais 5 ans. Donc, mon père, qui jouait en autodidacte du pipe écossais et qui s’intéressait aux musiques traditionnelles vendéennes et bretonnes, a rencontré Thierry Bertrand dans les années 1980. A l’époque très peu de personnes rejouaient de la veuze, on était en plein renouveau de cet instrument, notamment autour de l’Association Sonneurs de Veuze à Nantes. Il a tout de suite eu envie de jouer de cette cornemuse locale. Et lui et 2 autres copains ont commencé à prendre des cours avec Thierry. Ça se passait dans le magasin de mon père ou même plus souvent dans sa cave !

Le lien avec les musiques traditionnelles s’est donc fait d’emblée par le biais de l’instrument…
Oui, j’ai entendu sonner cet instrument, ça m’a plu et j’ai commencé à en jouer vers 7 ans. J’ai appris avec Thierry à la fois la technique instrumentale, mais aussi les répertoires liés, les danses, etc. et puis je jouais avec mon père et les autres veuzous dans les fêtes locales, les bals de la région, les fêtes de famille… Toujours d’ailleurs. C’est très précieux de partager avec mon père cette expression musicale.

Tu as été tenté par d’autres instruments par la suite? Ça arrive quand on commence un instrument très jeune, quitte à y revenir ensuite…
Oui, alors parallèlement, j’ai aussi fait du violon, auprès des copains de mes cousines. La musique ça se passait pas mal en famille. Et puis, j’ai dû faire 4 ans de flûte à bec en école de musique, ce qui m’a apporté des bases de lectures, solfège. Tout ça en parallèle à la veuze, mais c’est elle qui a pris le pas sur les autres expressions.

Quand on te connaît un peu en tant que musicien, on voit bien que tu es allé fréquenter des approches et des univers très variés. Quelles ont été les étapes décisives, les rencontres importantes qui ont forgé le musicien que tu es aujourd’hui, au delà de cette formation initiale et très précoce?
Donc d’abord, Thierry Bertrand. Au delà de jouer, on parlait et on écoutait beaucoup de musiques, de partout d’ailleurs. Et il m’a emmené jeune dans pleins d’endroits où il jouait, en festivals, concerts. J’ai joué avec lui en 1995 aux Tombées de la Nuit, sur la même scène que Patrick Molard. Rencontre importante. Sinon, c’est con, mais une personne qui m’a beaucoup influencé en musique, c’est mon frère. Lui, il écoutait beaucoup de musiques rock, indé, puis techno, électro. Très ouvert, mais pointu et à l’affût des nouveautés. C’était dans les années 90 et je jouais de la veuze sur du Robert Hood ! En tout cas ça m’a nourri, c’est sûr. Ensuite, la rencontre avec Sylvain Girault, la musique qu’on a partagé ensemble en duo et l’aventure du Nouveau Pavillon, à partir de 2003. L’occasion pour moi de découvrir des artistes géniaux et inventifs, inspirés de leur propres expressions de tradition orale. Par exemple le norvégien Karl Seglem. Et toujours sous l’impulsion de Sylvain, la proposition de création de Trafic sonore, où j’ai commencé à travailler sur les matières sonores de mon instrument. Là une autre personne importante de mon parcours : Laurent F Robin - solo couleurRousseau, avec un fort engagement dans la musique, sur la scène, une fantaisie incroyable autour de ses guitares préparées, mais au service d’une grande musicalité.

Trafic sonore marque le tournant de ton exploration des matières sonores, de ton instrument proprement dit, de ses possibilités acoustiques? Un travail dont on voit aussi une déclinaison poétique dans le projet des Allumés du Chalumeau…
Oui, c’est un tournant dans mon parcours. Dans la démarche. Tout en continuant à jouer de la veuze d’une manière on va dire conventionnelle, je l’ai simplement posée devant moi en me demandant comment aussi en jouer autrement, quoi faire avec le cuir, le bois, juste le chalumeau, le bourdon, le souffle, etc… J’ai poursuivi cette démarche dans la création des Allumés du Chalumeau, avec Ronan Le Gourierec. Avec une dimension visuelle en plus, Les Allumés étant un spectacle, mis en scène, avec vidéo, lumières, voix off… Ce projet est vraiment basé sur le couple cornemuse-bombarde, avec l’idée de le réinventer, l’emmener ailleurs, dans la fantaisie, sans prétention ; avec le soliste extraordinaire qu’est Ronan.

Qu’est-ce qui t’a amené à cette curiosité, ce côté défricheur explorateur de la matière sonore de ton instrument? D’où vient l’envie autant que l’idée d’aller chercher des choses au-delà de l’acoustique « naturelle » (sans manipulation), du dialogue avec des machines ou des effets sonores? Il y a eu un déclic particulier ou c’est une cheminement progressif?
C’est un cheminement progressif, comme je te le disais, les musiques qui se croisaient à la maison, les styles musicaux. Je me rappelle des premiers disques de Brian Eno avec le duduk de Gasparyan, par exemple, ou encore Socalled et Krakauer, d’avoir entendu des musiciens comme Benat Achiary, Bernat Combi, JF Vrod, etc, etc. Tout ça, ça donne envie d’y aller. MAIS, ce qui m’a surtout amené vers le trafic sonore de mon instrument, le déclic peut-être, c’est l’envie de fabriquer mon propre instrument. Je m’explique : mon apprentissage auprès de Thierry Bertrand s’est fait dans son atelier de lutherie, au milieu des copeaux, des machines, etc. L’envie d’apprendre à fabriquer mon propre instrument m’a toujours accompagné, mais je ne me suis pas lancé dans la lutherie. Je me suis tourné vers l’utilisation de capteurs, de micros, d’ordinateurs… pour créer mes propres matières et chercher d’autres modes de jeu avec la veuze. Remplacer la gouge par le piézo, et le tour à bois par le Space Echo… ça, ça me parle. Depuis, j’ai beaucoup confronté, tâtonné, expérimenté, autour de différents dispositifs électro-acoustiques.

Ça c’est vraiment intéressant, le lien (évident, quand on y réfléchit) entre le travail de luthier et celui d’expérimentation sonore par le biais des technologies de captation, de restitution ou d’altération du son.
J’ai abordé cette rencontre électro-acoustique par le biais d’une démarche empirique d’apprenti, mais pas par le souhait de fusionner des styles musicaux différents. Je ne suis pas issu du courant électro. En 2012, je suis allé faire un stage de musiques électro à Berlin. J’y ai appris énormément, et rencontré des grand noms du monde électro (Thomas Fehlmann de The Orb, Burnt Friedman, Gudrun Gut, Mathias Delplanque). La journée, on étaient 12 autour d’une table, venant d’horizons divers. On avait tous les mêmes outils (un ordi, une carte son, des contrôleurs) et on ne jouait pourtant pas la même musique. A partir de là, l’ordinateur ou les machines ont pris une place importante dans ma pratique de musicien.

F Robin - CirculaireLes deux approches peuvent être complémentaires d’ailleurs, non? Certains luthiers expérimentent pas mal aussi…
Oui, d’ailleurs Thierry Bertrand avait déjà essayé pleins de trucs en matière de cornemuses midi, de captation et d’effets sur la veuze. Et bien d’autres sur d’autres cornemuses ou instruments traditionnels. En vielle à roue, je trouve qu’ils ont amené loin ces expérimentations.

Trop? (pas la peine de répondre, c’est de la provoc facile)
Non pas trop, parce qu’il y en a pour tous les goûts, on peut se tourner vers une lutherie traditionnelle ou complètement contemporaine. C’est plutôt génial.

Ça explique par exemple tes accointances avec quelqu’un comme Grégory Jolivet?
Carrément. On se croise depuis un bout de temps avec Greg ! Et on commence à travailler ensemble avec le trio Padovani/Jolivet/Robin. Un pur plaisir.

On en vient progressivement à ton rapport à la musique à danser. Mais pour rester dans le contexte concert, parlons de projets comme le collectif Jeu à la Nantaise, ou bien La Circulaire.
Oui, le Collectif du Jeu à la Nantaise, c’est une expérience humaine, riche. J’ai des super souvenirs de cette création. D’abord parce qu’elle s’est faite dans une cave ! Et pas des moindres : Manoir de la Motterie. Muscadet en biodynamie. Superbe. Et toute cette création s’est déroulée dans une bonne humeur communicative. La rencontre avec Aicha et Micha était importante : Algérie, Biélorussie, Haute-Bretagne. Les musiques se sont assemblées logiquement. Et on a joué pendant près de 6 ans un concert qui n’était prévu que pour une soirée.

C’est terminé ou bien on a encore des chances de vous croiser, même si j’imagine bien qu’une formation nombreuse est un peu difficile à faire tourner… ?
Ce n’est pas terminé officiellement, plutôt en stand-by, car à 11, on a tous bifurqué vers d’autres projets. C’est logique, mais on remettra peut-être le couvert.

F Robin - veuze violoncelleCe serait vraiment cool… Je ne vous ai entendus qu’une fois, à Yaouank, et j’imagine que ça a pris de la patine et de la marge d’expression depuis.
Oui, d’autant plus qu’on avait retravaillé le set en 2012 avec Jean-Louis Le Vallégant pour lui donner une dimension scénique plus efficace.

La Circulaire est un projet plus personnel qui se produit depuis quelques temps. C’est une étape de plus après Trafic Sonore ou bien la problématique est différente, en dehors de la collaboration avec Erwan Hamon et Sylvain Girault ?
Pour moi, c’est la continuité de mon travail et ma démarche entamés avec Trafic sonore : création sonore, jeu d’accompagnement avec la cornemuse. Trafic sonore, Les Allumés, ma collaboration avec Erwan Keravec en 2010, en solo machines puis donc dernièrement avec La Circulaire. Sur la circulaire, on est parti du thème du son continu, décliné dans la musique, les textes, le visuel. Et la voix a une place importante dans ce concert. C’est une création originale, poétique et sonore.

Il y aura un disque ?
Oui je le souhaite. On a rejoué dernièrement à Nanterre, c’était vraiment super. Récemment, on a aussi partagé la musique de la Circulaire avec des percussionnistes coréens. Et cette rencontre a donné une autre couleur à notre musique. Question de budget, si on trouve au moins un distributeur, oui. Sinon, pas gagné.

Trafic Sonore avait été distribué par qui ?
Trafic Sonore avait été produit par L’appentis producteur, label de Youenn Le Cam.

J’imagine que si ça se faisait, ce serait dans le cadre d’A la Zim! Une structure dans laquelle tu es investi (et dont parle un bon article du dernier Musique Bretonne).
Oui c’est ça, via à la Zim. Mais on n’en est pas encore à gérer un label. On est en réflexion. Oui, A la Zim,c’est une aventure extrêmement importante pour moi depuis 4 ans. Nous avons monté cette structure en commun avec Gérald et Janick Martin, Erwan Hamon et Sylvain Girault. On y partage beaucoup de choses, de réflexions, d’envies, de conseils. Une zone de confiance mutualisée.

Oui, et encore une fois l’impression que tout ça s’inscrit dans la continuité du parcours de chacun, non?F Robin - trio Jolivet Padovani Robin
Oui, nos parcours se croisent et se mêlent depuis des années. On a souhaité travailler en commun. On reste libres de nos créations. Mais avec le regard avisé des autres, ça fait avancer plus vite, avec plus de moyens (pas que financiers !). Et on a encore pleins d’idées en cours de réalisation.

Il y a aussi tes performances solo veuze/machines en bal trad. Avec ce projet solo dans la ronde, équilibré et super agréable à danser d’ailleurs, on en vient à ce que tu fais en tant que musicien de bal. Dans ce registre, il y a eu ton duo de sonneurs avec Ronan Le Gouriérec, le trio NRV et bien avant le duo avec Sylvain Girault, notamment. Quel est ton rapport à la danse trad? Tu es danseur, ou pas trop?
Je joue de la musique à danser depuis tout le temps. Danser en jouant, j’ai toujours vu ça par chez moi, en Vendée, Loire-Atlantique, que ce soient les chanteurs ou musiciens, dans la ronde. Rien de nouveau. J’adore les danses en rondes qui permettent la mène (gran’danse/paludier notamment). Une forme de liberté et de jeu avec les danseurs. Ça prend tout son sens au milieu de la ronde. Donc oui, je sais danser ces danses. Mais je ne suis pas un danseur invétéré. Quand je ne joue pas, je danse de temps en temps, pas plus !

Tu portes aussi, en tant que musicien de bal, un répertoire assez (voire carrément) minoritaire en fest-noz, avec des ronds et bals paludiers, des maraichines, pour ne pas parler des gran’danses … Du coup, elles sont moins connues/maîtrisées par les danseurs, dès qu’on quitte un peu ta zone, non?
Bof. Rond et bal paludier, maraichines, ça se danse un peu partout depuis longtemps. Les branles de Noirmoutier de plus en plus. Pour la Gran’danse, comme je montre en même temps, les gens s’y mettent facilement. Pareil pour le rond de l’île d’Yeu (magnifique ronde). Et puis, je ne porte pas ce répertoire. J’aime aussi jouer des danses bretonnes, poitevines, du Centre.

Dans le kreiz breiz, ça reste très exotique comme répertoire, je pense…
Oui tu as raison, mais c’est vrai que je n’y joue pas souvent.

Et enfin, puisqu’on parlait au début de la manière dont tu en es venu à jouer de la veuze, qui est un instrument qui revient de loin, que sais tu et quel regard portes tu sur l’état de la pratique de cet instrument à l’heure actuelle? Comment ça a évolué depuis les années 1980?
ça a beaucoup évolué. Pour ma part, j’ai enseigné la veuze pendant 8 années, avant d’être musicien. J’ai eu une centaine d’élèves sur cette période, et des ateliers ont été développés du Sud-Vendée à Rennes, en passant par la presqu’île guérandaise. Aujourd’hui, il y a des sonneurs de veuze un peu partout, j’aurai du mal à donner un chiffre. Mais l’instrument ne se porte pas si mal, au vu de sa quasi-disparition il y a une cinquantaine d’années. Maintenant, la veuze se portera bien si les musiciens s’en emparent pour créer, inventer et s’amuser avec.

ROBIN

Retrouvez la Carte blanche de François Robin cette semaine sur CanalBREIZH!

Vous pourrez notamment écouter François Robin le lundi 10 juillet à Segré, (festival Saveurs Jazz), avec R. Alain (contrebasse) et M. Mouch (conte), et le samedi 4 août à Lorient, invité avec Erik Marchand par le duo Pichard-Vincendeau à l’Espace Bretagne, pendant le FIL.

Crédits photos : Doumé (trio Padovani-Jolivet-Robin), Myriam Jégat (solo couleur) Olivier Poggianti (solo n&b), Serge Hilbert (la Circulaire) et Phil Journé (duo violoncelle / veuze)

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