Portrait de Tristan Le Breton

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26855512_1549379428490825_1545026095_nMulti-instrumentiste de talent, discret et bosseur, marqué par le trouble salutaire de la curiosité, Tristan Le Breton est guitariste dans An Tri Dipop, SkeeQ, batteur dans Skaramaka et Luge, et bien sûr beat boxer dans Beat Bouet Trio. Il prend pour Tamm-Kreiz le temps d’expliquer son parcours, ce qui l’anime et lui correspond dans le fait d’oeuvrer en musique traditionnelle d’aujourd’hui.

Un des impondérables de ce genre de portraits, c’est de voir d’où tu viens et comment tu en es venu à cette pratique de la musique trad. En l’occurrence, estce qu’on peut parler de déterminisme familial, au moins en partie ?
Effectivement, je viens d’une famille de musiciens, puisque mon père joue depuis plus de 30 ans dans le groupe de musique bretonne Koskerien. C’est donc une musique qui a bercé mon enfance, que je le veuille ou pas. Ce qui est intéressant, c’est que j’ai commencé « tard » la musique ; moi, mon dada, c’était le football.

« Tard », c’est quand ?
J’ai commencé la musique par la guitare, en fin de 3e, à 15 ans quoi. Comme par hasard, mon père joue de la guitare et du violon ! Un jour, j’ai eu un déclic en l’écoutant jouer un magnifique morceau de Marcel Dadi, « my old friend Pat », et là je lui ai dit : « papa, ça c’est trop beau, j’aimerais bien savoir jouer ce morceau ». Et c’est parti comme ça.

Et pour le trad ? Tu as tourné le dos à ce truc pas forcément très swag pour un ado, ou bien tu as intégré tout de suite cette culture à ta pratique instrumentale ?
Effectivement, moi j’étais plutôt métal à ce moment là, ce qui donnait un effet très bucolique à la musique trad en comparaison de mon ressenti de l’époque. Mais du coup, il m’a fallu des étapes et des rencontres pour en arriver là.

Justement, parlons des premières expériences fest-noz, par exemple avec les Musiciens d’Oz. C’était ton premier projet de musique à danser ?
Oui. Au lycée, j’ai rencontré Rozenn et Thomas, qui faisaient déjà du trad. Le courant est bien passé, et ils m’ont proposé de jouer des percussions dans leur groupe. Alors, tu vas me dire : « tu fais de la guitare, non ? » Eh bien, j’ai d’abord joué de la guitare dans un groupe de rock, et comme le batteur laissait sa batterie chez moi, j’ai aussi découvert ce qui est devenu un de mes principaux instruments aujourd’hui. À Rozenn et Thomas, j’ai dit que je voulais bien jouer avec eux, mais que ce serait de la batterie, et qu’en plus j’avais un pote qui venait de se mettre à la basse, donc on pourrait faire basse/batterie avec accordéon/guitare. Le bassiste, c’était Dylan James, mon copain/voisin/frère de sang…

26914209_1549379411824160_443335703_nÇa a duré combien de temps, ce groupe, et qu’en retiens-tu avec le recul ?
C’est là que j’ai connecté avec le trad, commencé à sortir en fest-noz avec les copains pour savoir danser, écouter ce qui se faisait, et se lancer ! Le groupe a duré 6 ans, ça a été un super groupe d’expérimentation pour pouvoir gagner en maturité musicale. On partait de pas grand-chose, et à la fin, on avait vraiment quelque chose qui tenait la route !

On a l’impression qu’il y a toute une jeune génération plus ou moins issue du pays de Ploërmel. Très ancrée dans le trad, mais aussi très ouverte sur plein d’autres musiques, ce qui se retrouve dans vos divers projets.
Effectivement, il y a eu des bonnes expériences, entre les jeunes du bagad de Ploërmel et des cavaliers solo qui se fédèrent…On peut citer Gurvan Molac, Dylan James, Jonathan Dour, Thomas Perrichot…À l’époque, il y avait un projet européen qui s’appelait SNAP, un échange de culture entre Suède, Nord Angleterre et Ploërmel, un collectif de 24 musiciens qui se renouvelait tous les ans. C’est là que j’ai rencontré Jonathan Dour, Anjela Lorho-Pasco (qui habitait vers Vannes), Martin Chapron (sa mère était originaire du pays de Malestroit, à côté). Bref, un projet propulseur pour moi dans la musique traditionnelle, mais qui malheureusement n’existe plus, car il n’y a plus d’argent nulle part. Pourtant Yann Dour, qui était fédérateur du projet pour la partie bretonne, a tout donné !

26857101_1549379408490827_2085104867_nTu peux nous parler de Stochelo & Rosenberg, tant qu’on en est à explorer les dossiers de jeunesse ?
Ah, Stochelo !!! Il s’avère que j’ai un frère, Maxime Le Breton, qui fait du piano depuis qu’il est petit, et on s’est toujours suivis beaucoup à partir du moment où j’ai commencé la musique. Il savait aussi jouer de la guitare. Dans nos expérimentations de jeunesse, on a essayé de jouer un morceau de jazz manouche à deux guitares. Et puis, vu qu’on est bon public et inversement, on a voulu faire une petite vidéo rigolote, et on a trouvé ce délire de Stochelo & Rosenberg, en dédicace au grand Stochelo Rosenberg (qui a vu notre bétisier de vidéo, d’ailleurs, et qui s’est bien marré!).

Vous continuez à faire de la musique ensemble, avec Maxime, non ? Notamment dans les projets Shebeen et Luge ?
Exactement, la famille c’est la famille ! Alors on a invité Max plusieurs fois dans les Muziciens d’Oz à l’époque, puis dans la 2e mouture de Shebeen (100 % pays de Pieurmé!) On a aussi monté un groupe délire de reprises du top 50 Nostalgie pour les grosses fêtes des copains qui s’appelle Coco Jambo (avec encore et toujours mon Dylan James favori).
Dans un projet plus récent on s’est réunis encore tous les 3 sur un projet de musique d’improvisations et de compositions brèves qui s’appelle – luge -.

Dans les premiers projets « trad » ambitieux, il y a eu Skaramaka et An Tri Dipop.
Comment se sont vécues ces deux aventures très différentes et avec une identité musicale très forte ?

Oui, il y a eu Skaramaka et ma rencontre avec Martin Chapron et Mael Lhopiteau qui avaient déjà ce projet dans un format acoustique avec Klervi Verveur au chant et Yoann An Nedeleg au uilleann pipe. Quand ils m’ont demandé de remplacer leur percussionniste, je leur ai proposé de tester quelque chose de plus rock, avec moi à la batterie et Dylan à la basse, pour expérimenter un groupe de « rock celtique » mais dans le bon sens du terme, tu vois ! C’est pas évident de parler du laboratoire musical que c’était pour nous tous en si peu de mots, mais ce projet a forgé en chacun de nous, je pense, une bonne partie de notre personnalité musicale.
26909624_1549379371824164_477610834_oEt An Tri Dipop ?
Alors, ça, ça a commencé par la rencontre entre Anjela Lorho-Pasco, Jonathan Dour et moi pendant le projet SNAP. Après cette expérience, on a monté un petit trio en 2006 ; ça s’appelait Taj Trio, on a fait deux dates et après Jonathan n’avait plus le temps. Plusieurs années après, on s’est inscrits avec Anjela à la Gallésie en fête à Monterfil en duo libre, pour rejouer quelques morceaux d’avant. Et comme, contre toute attente, on a gagné le concours, on s’est sérieusement posé la question de continuer. On a ajouté une contrebasse avec Dylan, et en trio, on a gagné le tremplin Morgane au Ty Anna sous le nom d’An Tri Dipop, et par là le droit de jouer au « petit Yaouank » salle de la Cité. Après quelques fest-noz, on s’est dit que ça manquait de réponse au chant, alors on a longtemps réfléchi à l’instrument qui pourrait à la fois répondre au chant et aérer/alléger le côté enraciné de la musique traditionnelle. La trompette est devenue une évidence. Alors on a enrôlé notre copain Martin Chapron (plus tard remplacé par Brian Ruellan). J’ai ensuite beaucoup travaillé les arrangements chez moi à partir des chants qu’Anjela nous envoyait. On a passé plusieurs années à peaufiner la musique, à tout changer, comme un puzzle qui n’avait qu’une solution.

Tout ça a donné le bel album « Mari Louise » et un groupe qui n’a jamais tourné autant qu’il le méritait, non ?
C’est aussi mon humble avis. Après, il paraît (mythe ou réalité?) que depuis des années il y aurait une tendance dans la façon de jouer, qui plaît dans le fest-noz, et nous on allait volontairement dans l’autre sens ! Je pense qu’on jouerait davantage si on avait suivi le mouvement, mais on aurait certainement moins développé un style personnel. Et je suis content aujourd’hui de voir que les retours de cet album sont multiples et super touchants ! Nous nous contentons de cela.

Pour boucler la boucle de ton chemin par rapport au trad, peux-tu nous parler de cet autre joli disque qu’est celui de ta grand-mère Madeleine ?
Quand on m’a annoncé que ma mamie était une chanteuse collectée, je lui ai tout de suite demandé me chanter une chanson. Seulement ça n’a pas marché cette première fois. En découvrant plus tard, dans sa cuisine, un cd de collectages par Charles Quimbert contenant toutes les chansons de son répertoire, je me suis dit que j’allais faire des arrangements guitare pour que nous puissions faire des concerts. Et puis Anne-Gaëlle Normand, qui allait aussi la collecter, m’a dit que ma mamie avait un souhait avant de partir de ce monde, c’était d’enregistrer un cd ! Alors on s’est lancés, j’ai pris les manettes (techniques) et à 83 ans Madeleine Le Breton a sorti son album (bisous mamie!) !

Du coup, si je comprends bien, tu as appris cette histoire de collectage assez tard ?
Oui ! Ma mamie n’en parlait pas vraiment, ou quand elle chantait c’était plus souvent « mon amant de St Jean » que « Par un dimanche la matinée », tu vois, alors c’était dur de savoir qu’elle avait tout ça comme répertoire de son cru !

26940367_1549379418490826_953340074_nMaintenant, avec Beat Bouet Trio, tu réussis le pari assez dingue de gagner ta vie en faisant des prout dans un micro. Comment est né le projet beat bouet ? Quel est ton rôle dans le trio, en dehors de la scène notamment, quelle est ta pierre à l’édifice ?
En parallèle à la guitare et la batterie, j’ai développé depuis 2012 la pratique du human beat box, qui reliait instinctivement mon désir du rythme à la voix. Au cours d’une des soirées « battle d’avant-deux » (qui proposaient de danser l’avant-deux sur des vinyles de reggae-ska) organisées notamment par Gurvan Molac et Erwan Burban, je me suis essayé sur quelques morceaux à remplacer les disques à la bouche. Ce fut une super expérience d’entendre ma voix descendre aussi bas dans les caissons de basse. Tellement bluffant que Gurvan m’a rappelé quelques jours après : « Vas-y mec ! Faut qu’on monte un groupe de hip-hop dans les fest-noz, j’ai les lyrics, t’as un beat, il manque une grosse basse et un instrument qui joue la mélodie, et c’est parti ! » J’ai accepté, on a réfléchi à qui pouvait faire ce qui nous manquait, et la réponse a été : un accordéon ! Avec le temps ça s’est peaufiné, Gurvan faisait les textes, moi je faisais les arrangements pour le groupe et Ivan Rajalu réussissait à produire à l’accordéon ce qu’on avait dans la tête. Quel talent… Il peut jouer un Avant-deux sans dénaturer le style et faire une grosse basse bien hip-hop tout en chantonnant un petit choeur. Du jamais vu !

Du coup, pour en revenir au bal trad, est-ce que toi même tu danses ?
Oui bien sûr je danse, et c’est essentiel de mon point de vue pour être un musicien de bal trad. Quand la musique n’invite pas à la danse, c’est que quelque chose a été loupé. Un groupe musicalement très bien mais avec un trop faible « dansablilté » peut passer à coté du public assez facilement. J’essaie de toujours garder ça en tête dans tous mes projets bal trad, en tout cas !

Comme avec BBT vous tournez beaucoup, y compris en bal folk en dehors de Bretagne, voire à l’international, qu’est-ce que tu trouves précieux en fest-noz et que tu ne retrouves pas en bal folk (et vice versa) ?
Pour jouer dans les deux contextes et surtout danser dans les deux, je constate surtout des différences au niveau de la danse. Ce que je retrouve dans un fest-noz, c’est le côté communautaire, local, social et collectif. La majorité des danses bretonnes sont des danses en ronde, ou en chaînes, et dans l’exécution d’un pas commun, court et simple. On accède à la jouissance d’être un seul et même élément lorsque le geste commun est donné et reçu par tous. Dans un bal folk, j’ai remarqué que ce qui est à l’honneur dans la danse, c’est l’individualité, la variation, la création, ce qui est totalement jouissif aussi dans les danses en couple par exemple. Et dans les danses collectives en bal folk, il n’y a pas cette recherche de ne faire qu’un puisque l’individu prend le dessus (c’est mon constat). Après le public de bal folk (européen) est très variable par rapport au fest-noz (local), donc ce que je dis n’est pas vrai pour tous bien évidemment. En tout cas, pour moi, le bal folk et le fest-noz sont complémentaires, car ils n’ont pas la même fonction.
Au niveau de la musique, je suis toujours autant épaté par la créativité des uns et des autres.

26855960_1549379421824159_1685334543_nUn autre projet où tu développes une musique très personnelle, c’est SkeeQ, un trio qui se produit en concert et qui vient de sortir un bien chouette album.
SkeeQ, c’est un projet qui est né de mon amour pour la musique traditionnelle suédoise, découverte pendant ma participation au projet SNAP. En arrivant à Rennes pour mes études, j’ai rencontré deux musiciens qui partageaient ce goût pour la musique scandinave. Avec Floriane Le Pottier au violon et Mael Lhopiteau à la harpe, on a boeufé tous les trois et on tenait un truc, ça c’était en 2009. Après un passage à vide pour plein de raisons, on a décidé de remonter le trio en 2015. On a tourné pendant un an en jouant des airs traditionnels, puis on s’est essayés à la composition de musique traditionnelle suédoise, comme on aurait pu se mettre à la composition de ridées 6 temps. L’album de SkeeQ qui vient de sortir en décembre 2017 est le fruit de beaucoup de mes compositions personnelles autour de la musique scandinave, et je suis très content de pouvoir enfin partager cela !

Au travers de ton parcours, on voit que tu injectes tout un tas d’influences dans ce que tu fais. On sent que l’idée est de chercher des couleurs, des ambiances, des effets, une narration, et tout ça coexiste avec une musique qui a historiquement beaucoup fonctionné avec comme moteur du thème qui envoie, au kilomètre. Comment trouves tu un équilibre dans ton approche des musiques traditionnelles ?
J’en suis là aujourd’hui car à un moment de mon parcours, j’ai fait une introspection en me disant : « qu’est-ce que tu veux défendre, Tristan ? » Ma réponse aujourd’hui est : je veux défendre la culture populaire, je veux défendre la musique à danser. Mais comment j’ai redécouvert ma culture ? En l’ayant entendue avec des métissages, plus souvent modernes. Et je ne me serais jamais intéressé autant à ma culture si elle n’avait pas traversé les époques et les influences. J’écoute et aime beaucoup de genres musicaux, et toute cette musique m’inspire évidemment pour mes projets personnels. Je mêle beaucoup la musique traditionnelle à des matières plus « savantes », comme utiliser des couleurs et des enchaînements harmoniques plus complexes, ou des arrangements basés sur des ostinatos, des ambiances sonores, etc. J’aime à penser que donner une esthétique différente et plus moderne à un concept qui à la base peut être repoussant pour les jeunes (tradition = vieux pour faire court) peut donner envie aux jeunes d’aujourd’hui de s’intéresser à nos cultures ancestrales. Moi, c’est comme ça que j’y suis revenu : je me suis intéressé à ma culture au début à travers des groupes plus modernes, et au fur et à mesure, j’ai creusé plus loin.

Retrouvez les goûts et influences de Tristan en écoutant la Carte Blanche que lui consacre CanalBreizh cette semaine (Vendredi à 07h30, 12h00 et 19h00), et découvrez les occasions d’aller écouter ses différents projets via sa fiche artiste (http://www.tamm-kreiz.bzh/personne/4378/) sur TK.
En outre, vous avez encore quelques jours pour soutenir par le financement participatif son dernier projet en date, Luge (https://fr.ulule.com/luuuge/)

Liens externes :
Beat bouet trio : http://beatbouettrio.wixsite.com/beatbouettrio
Vincent Lahay : https://www.vincelahay.com/
SheeQ : http://www.skeeq.com/
A tri dipop : http://antridipop.wixsite.com/home

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